On célèbre actuellement le surréalisme au-delà des frontières (Surrealism Beyond Borders : une grande exposition sur ce thème a eu lieu à New York au Metropolitan Museum et est en ce moment à la Tate Modern de Londres). Cet internationalisme – ou cette volonté de montrer ce qui se fait ailleurs – est bien connu à Saint-Cirq Lapopie. Après avoir exploré les multiples facettes, parallèles, du mouvement Phases au printemps 2021, nous avons choisi de consacrer notre exposition estivale à l’aspect international de ce même mouvement.
Une géopolitique de Phases
Exposition internationaliste, 2 juillet – 28 août 2022
La Rose Impossible, hôtel départemental Rignault
Saint‐Cirq La Popie
Le mouvement Phases a été fondé en 1953 par Édouard Jaguer et ses amis avec pour vocation de ne pas s’en tenir aux manifestations ou activités parisiennes. Dès le départ, il entend rendre compte de toutes les tendances d’avant-garde revendiquant le surréalisme ou l’abstraction comme points de départ. Une exposition Phases – et donc un catalogue ou un numéro de la revue – rassemble, comme par définition, des moyens d’expression diversifiés (peinture, sculpture, photographie, collage, poème) issus de lieux géographiques différents. Phases est d’abord un mouvement international ou plutôt un mouvement internationaliste, dans lequel la participation française et particulièrement parisienne n’est pas souvent la plus nombreuse. Cela est en apparence paradoxal puisque le centre névralgique du mouvement est à Paris – mais Jaguer se situait de toute façon en dehors des institutions et des conventions « nationales ». En ce sens, Phases hérite de Cobra qui s’est construit contre le parisianisme artistique, et dont Jaguer a été l’un des rares participants français – après être passé par le « Surréalisme révolutionnaire », où la dimension transfrontalière était déjà insistante. Il est symptomatique que, lorsqu’il participe en 1953 au Premier bilan de l’art actuel que publie le Soleil noir, ce soit avec Stagnation et rupture dans la Peinture allemande d’aujourd’hui, et Trajectoires scandinaves, deux domaines sur lesquels la plupart des critiques d’art français du moment n’avaient sans doute pas grand chose à dire…
Pour décrire Phases, on a souvent utilisé l’image du planisphère ; nous préférons évoquer sa « géopolitique », car le terme implique mouvements et échanges. Phases a aisément dépassé les barrières de langues, de lieux, de genres, de durées. Son développement à l’étranger, ses ramification internationales ne se sont pas faites au hasard mais en fonction certes des opportunités, et aussi d’accords idéologiques et artistiques – au détriment souvent de la notoriété ou de la stratégie médiatique. C’est donc une exposition des « antennes » de Phases situées à l’extérieur des frontières françaises – on se garde le droit de revenir plus tard sur les agitations provinciales de Phases (Bretagne, Lille, Lyon) : c’est une autre histoire.
L’historiographie officielle des avant-gardes du 20e siècle a du mal à classer ce mouvement atypique, toujours en parallèle, un peu partout et nulle part ailleurs. Il restera une internationale non structurée, non scissionniste, non contingentée. Phases est d’abord un mouvement politique, dans le plein sens du terme. Un acte politique passant par une défiance à l’égard des systèmes établis – tant esthétiques que sociaux –, une ouverture vers des ailleurs sans cesse réinventés, une volonté d’agir sur le monde des formes et des structures, une intransigeance face aux déviances et aux récupérations.
Phases fut surtout attentif à tous les nouveaux signes d’une « révolution dans l’art » toujours à (re)faire, exprimant sans cesse une solidarité ouverte avec ces signes. Phases reste à l’affût des libertés d’artistes, aux quatre coins de la planète et, autre objectif, quels que soient les moyens employés. Il est frappant de voir que ce réseau n’a pas seulement fédéré des artistes remarquables mais aussi, à hauteur égale, des poètes.
Une des spécificités de cette mouvance fut en effet d’être ouverte à toute nouveauté : « Phases n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un mouvement de consécration » (Jaguer, 1964) : c’est un creuset où se sont rencontrés de nombreux artistes venant de partout et de nulle part – dont certains deviendront ensuite célèbres et dont la plupart n’oublieront pas d’où ils viennent.
Phases est un centre et des galaxies. Même si le centre névralgique – le cœur – était parisien, autour de l’activité infatigable d’Édouard Jaguer. Phases a surtout essaimé ailleurs, jamais dans le parisianisme. Mouvement sans compromission, Phases a travaillé avec des personnes et des regroupements qui étaient le plus souvent en périphérie des grands centres urbains des avant- gardes. Phases ne se trouvait pas dans les grandes galeries et salles de ventes aux enchères de Paris, New-York, Milan ou Londres…
Phases fut un mouvement proliférant. Même si le nom de Jaguer était présent dans chacune des actions menées, il ne dirigeait pas tout, souvent même il n’était pas à l’initiative mais accompagnait et amplifiait la manifestation grâce à son réseau. Le domicile des Jaguer était le lieu central de Phases mais il n’était pas totalement omniscient. Autour des Jaguer, une diaspora bouge au fil des ans, des découvertes, des migrations, certains ont été « révélés » grâce à Phases, d’autres ont disparu, des cercles d’activités se sont créés, ne sont plus, ont bougé.
Quand le centre n’était pas présent ou réactif, les antennes continuaient de s’agiter, de vivre, de se voir, de se téléphoner. Autour de Paris, des cercles d’activités se sont créés, ont évolué, sont partis, ont disparu. Il y a eu d’autres « coordinateurs » de Phases en dehors de Paris, qui pouvaient organiser des expositions et y inclure un artiste sans forcément attendre l’imprimatur de Jaguer. L’activité passe par ces personnes, chefs d’orchestre (fanfare de rue plutôt qu’orchestre symphonique en queue-de-pie), initiateurs, catalyseurs et passeurs – des agitateurs créateurs et personnalités sensibles, fidèles, efficaces dans l’action et dans le poétique. Peu ont eu le privilège d’avoir cette fonction : il y a eu Juan Carlos Langlois en Amérique du sud, Jacques Lacomblez à Bruxelles, et plus tard Jean-Claude Charbonel en Bretagne, Roger Frezin à Lille ou Gilles Petitclerc et Pierre Boulay à Montréal.
Et puis il y a eu des « passeurs » entre la rue Remy de Gourmont et des univers méconnus ou éloignés géographiquement ou linguistiquement. Ils furent plus indépendants dans leur rôle d’ « agent de liaison ». On peut en citer deux : Michel Rémy diffusant, de Nice, le surréalisme anglais des deux côtés de la Manche et au-delà ; Guy Ducornet, entre les deux rives atlantiques, permettant la solidarité avec les surréalistes américains. D’autres, comme Jean-Clarence Lambert pour les artistes scandinaves ou Emmanuel Guigon pour les prédécesseurs de Phases, ont apporté régulièrement leur pierre à l’édifice.
C’est à cette diaspora amicale et fidèle que nous voulons rendre hommage. Pour rendre compte de cette vocation internationaliste de Phases, nous avons choisi de consacrer chaque salle à une zone géographique où des groupes Phases se sont activés et où Jaguer avait des rapports étroits avec des artistes. Nous ne pourrons pas tout montrer de ce que fut l’internationale Phases. Il manquera forcément des artistes mais nous partons déjà sur un premier tour d’horizon internationaliste : Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Portugal, Italie, Scandinavie, Pays-Basn Roumanie, Pologne, République tchèque, USA, Espagne, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Argentine, etc.
Seront exposées des œuvres (peintures, lithographies, sérigraphies, gravures) d’une cinquantaine d’artistes, ainsi que des revues, des affiches d’exposition de Phases entre 1953 et 2007.
Cette exposition est organisée par Richard Walter avec la collaboration des rédacteurs de la revue Infosurr, le soutien et les prêts de différents collectionneurs et de la galerie Les Yeux fertiles à Paris. Une publication éditée aux éditions du Grand Tanamoir accompagnera l’exposition.