Jacques Abeille

[…] Pendant longtemps, parmi celles et ceux qui lisaient Abeille, les plus conformistes ont distingué chez lui un versant « sérieux » (le Cycle des contrées) et un autre, plus singulier, moins « élaboré » parce qu’érotique (les ouvrages signés Léo Barthe).

S’amusant de ces commentateurs effarouchés, Abeille a parfois affirmé que, s’il écrivait des livres sulfureux, c’était parce qu’il avait besoin d’argent ; à d’autres moments, il s’est gaussé des réserves d’un célèbre confrère pornographe jugeant que son écriture était trop élaborée pour être efficace… Abeille a finalement ébranlé les fondements (apparents) de cette interprétation hiérarchisant sa production et reléguant à l’arrière-plan sa poésie : en intégrant au Cycle des contrées bien des nouvelles auparavant attribuées à Léo Barthe ; en contestant les caractérisations génériques courantes ; en proclamant que sa créativité s’alimentait d’un « supplément de rêve » dont il avait instamment besoin. Donnant de plus en plus de « substance » à son « double », il en même venu à exprimer le désir qu’à terme son patronyme s’efface (ou soit effacé) au profit de son hyponyme. […]

Extrait de l’article de Jean-Michel Devesa paru dans le n° 173 d’Infosurr.