Autre page sur Jean-Claude Charbonel
Je me souviens de cet été 1995, je rencontrais pour la première fois Jean-Claude et Suzel chez eux. Je parcourais la Bretagne depuis quelque temps déjà, et m’en étant ouvert à Édouard Jaguer, celui-ci m’avait immédiatement recommandé d’aller voir les Charbonel. Je me souviens de cet accueil, le tutoiement d’emblée comme si nous étions déjà camarades, malgré les 32 années qui nous séparaient, un sourire généreux, engageant, et un excellent whisky.
Puis nous avons échangé. Lui m’a montré ses terrains de luttes, ses armes physiques et conceptuelles, à travers une vision internationaliste de la Bretagne, surréaliste du paysage peuplé d’invisibles, qu’il nommait armorigènes. Nous avons conçu un film, dont le titre est aussi un tableau : Les voyageurs du temps des rêves armorigènes, dont le scénario est un hommage aux lieux chargés selon Jean-Claude, une charge symbolique de certains lieux perçus à la fois comme réels et imaginaires. Un itinéraire, écho lointain du Dream Time des aborigènes d’Australie, et aussi une expérience thérapeutique inspirée des peintures de guérison des indiens Navajo.
Il aura fallu 10 ans de rencontres régulières pour faire cela, avec à mi-chemin la réalisation d’un recueil de poèmes, Entre deux âges.
Jean-Claude est pour moi la figure de l’ainé qui n’a pas abdiqué sa pensée face à la réalité sordide. Incorporé dans l’armée pour son service militaire en pleine guerre d’Algérie, qu’il réussit à fuir, il garda un souvenir traumatisant. Formé politiquement par un parti trotskyste, il conserva un engagement fort, dont témoigne le titre de la revue qu’il dirige dans les années 60 : RUpTures. Avec ce détail typographique : 3 lettres en capitales pour détacher de la rupture le RUT. Rompre les amarres et boire à la source.
Mais c’est avec le mouvement Phases qu’il essaimera en Bretagne, en organisant des expositions multiples pour ses amis ou pour des collectifs, puis en animant des galeries à vocation pédagogique en collaboration avec sa femme Suzel, enfin en présidant un collectif des plasticiens dans les Côtes d’Armor.
Les phases du temps sont à la vie et à la mort des vases communicants. Jean-Claude a désormais rejoint les ancêtres de son grand rêve armorigène, un rêve qu’il nous lègue, un rêve qui s’inscrit dans le paysage et qui engage à voir l’autre, l’armorigène qui est en nous. Un être artisan, constitué de pièces recyclées et de bois échoués, visionnaire et guerrier, bricoleur artiste et poète actif. Un homme de demain, peut-être aussi de toujours, une étincelle dans la nuit.
Ludovic Tac – juillet 2016.
En juillet 1995, il y a 20 ans, lors d’une ballade sur le sentier douanier dans le sud de la Bretagne, avant d’aller rencontrer pour la première fois Jean-Claude Charbonel et Suzel Ania à une exposition de Jean-Louis Bédouin, l’idée d’Infosurr m’était venue : publier un bulletin d’actualités autour du surréalisme et de ses larges environs. Je me rappellerai toujours l’enthousiasme mêlé de rigueur avec lequel Jean-Claude accueillit cette idée. Il m’amena dans un fest-noz, on discuta trostkysmes puis il me laissa concrétiser mon désir.
C’est vrai que ce fut une idée un peu folle d’un déjà ex-étudiant pas encore travailleur. Elle a fait son chemin durant quelques mois et, grâce à la confiance, la disponibilité et la générosité d’Édouard Jaguer, de Jean-Claude Charbonel, de Jacques Lacomblez et beaucoup d’autres, le premier numéro allait paraître en février 1996. Jean-Claude suivi l’aventure avec de rares conseils toujours pertinents et n’hésita jamais à mettre la main « dans le cambouis », trouvant des abonnés, faisant participer Infosurr et l’auteur de ses lignes aux expositions autour de Phases à Saint-Brieuc. Jean-Claude Charbonel ou la persistance dans l’engagement et aussi dans l’amitié.
Richard Walter – juillet 2016
(illustration : logo de JC Charbonel pour Infosurr)
I first met Jean-Claude in 1977, we were friends for all the years between then and his death. He was kind and we were very close, he was my other heart beat, as a painter and as a person. Always when we wrote and saw each other he told me about Edouard Jaguer, and always in letters from Edouard he said, » and I have just seen Jean-Claude.. ». Both Edouard and Jean-Claude were always so kind, so inclusive towards me, it always touched me emotionally. When Jean-Claude and Suzel Ania were here in Wales they were so happy. When they left Wales, both Jean-Claude and I hugged each other and cried. Everyone loved him at the National Libray of Wales.
I have kept even one of his letters and postcards since 1977. Next year at The Arts Centre, Aberystwyth I am organising a large exhibition, there will be a section dedicated to Jean-Claude with paintings and letters included. I respected and loved every picture, every adventure of works of creativity he made, Jean-Claude said « my paintings are at home here in Wales ».
He was and always will be my Celtic Brother.
John Welson – juillet 2016
Le peintre « phasiste » Jean-Claude Charbonel et moi sommes entrés en contact à l’occasion de l’organisation de l’exposition surréaliste internationale La Chasse à l’objet du désir (Montréal, juin 2014). J’ai eu alors le plaisir de recevoir par la poste et de conserver quelques mois une merveilleuse petite aquarelle datant de 2005 et intitulée La Nuit elfique. Le visage animal de la lune, prolongé d’une trompe, éclaire les ruines d’un sanctuaire formé de pierres empilées, sur lesquelles sont gravés les épisodes d’un mythe cosmogonique : serpents, astres et héros…
Le poème « Celte fluorescent », rédigé dans ces circonstances, est un hommage au créateur des Armorigènes et du peuple Nuit. Il est basé sur le leitmotiv vertigineux des métempsycoses (ou, si vous préférez, des « états multiples de l’être ») dans le « Combat des Arbrisseaux », texte gallois faussement attribué au barde Taliesin.
« Celte fluorescent »
à Jean-Claude Charbonel
j’ai été
une petite planète de bronze
décapitée
une nécropole éclipsée par la ferraille fluorescente des presciences
le talisman verdâtre d’hyperborée dans la rivière aux phosphènes – fougères et engrenages
David Nadeau – Québec, juillet 2017
(illustration : JC Charbonel, La Nuit elfique, 2005)