Guy Ducornet nous a quitté vendredi 10 janvier 2025, à l’âge de 87 ans ; il est parti dans son sommeil et son dernier visage était apaisé. Il s’était déjà réfugié dans son monde depuis quelques années, deux AVC ayant eu raison de sa mémoire et de sa conversation. Guy a été un des premiers collaborateurs d’Infosurr, nous avons réalisé de nombreux projets d’édition autour des USA, de l’athéisme et bien sûr du surréalisme.
Nous avons surtout passé beaucoup de moments à refaire le monde à défaut de refaire l’histoire. Guy a eu une vie qui sortait de l’ordinaire, entre France et USA, entre surréalisme et jazz, entre peinture et poterie, il y en aurait à raconter ! Partant sur les routes du Sud des USA pour voir, en vrai, les bluesmans, en pleine Amérique ségrégationniste ; allant enseigner, pieds rouges, dans l’Algérie toute juste indépendante, ; rencontrant les jeunes qui tenaient une banderole « surrealism » en plein manifestation contre la guerre au Vietnam ; s’installant en Anjou pour devenir potier dans les années 70, Guy avec le courage de ses envies. S’il en avait le désir, il y allait, quitte à se retrouver dans des situations compliquées. Foncièrement honnête, détestant les coups fourrés et la tactique, il avait le verbe haut et, si c’était réellement intenable, il n’hésitait à rompre. En plus il avait toujours le soutien de son saxophone et son refuge au Puy Notre Dame.
Un de mes grands regrets est de n’avoir jamais pensé à prendre un appareil pour l’enregistrer et garder trace au moins une fois. Maintenant il ne me restera que de grands souvenirs, ses collages, ses tableaux, ses livres, surtout une certaine manière de vivre en liberté. Infosurr rendra hommage à ce très beau et très exemplaire itinéraire.
Richard Walter
Témoignage de John Richardson (Pays de Galles), 16 janvier 2025
C’est avec une profonde tristesse que j’ai lu le post sur Infosurr concernant le décès de Guy Ducornet.
J’ai eu le grand plaisir de rencontrer Guy et Ghislaine lors d’un voyage qu’ils ont fait au Pays de Galles en 2015. Ils sont venus dans notre maison à Hay on Wye et nous avons eu de longues conversations sur le séjour de Guy en Amérique, sur Ralph Ellison et, bien sûr, le surréalisme. Vous pouvez imaginer à quel point j’ai été touchée lorsqu’il nous a offert, à ma compagne Trish et à moi-même, un exemplaire de ses mémoires, Annandale Blues, accompagné de ses modifications manuscrites et d’une dédicace signée à nous deux. Nous sommes restés en contact au fil des ans, notamment lorsque je l’ai informé des références à Ellison dans la presse britannique, mais malheureusement, nos projets de visite à Guy et Ghislaine au Puy Notre-Dame ne se sont jamais concrétisés – les plaques tectoniques ne se sont jamais vraiment alignées !
John Welson & moi-même avons également consacré un Domaine entier à Guy – « The Domain of the Invisible Made Visible » – lors de notre exposition Surrealist Murmuration à Aberystwyth, probablement encore la plus grande exposition d’œuvres surréalistes contemporaines au Pays de Galles, en 2017.
Personnage impressionnant, il a vécu une vie exemplaire
It was with deep sadness that I read the post on Infosurr about the death of Guy Ducornet.
I had the great pleasure of meeting Guy and Ghislaine during a trip they made to Wales in 2015. They visited our home in Hay on Wye and we enjoyed long conversations about Guy’s time in America, about Ralph Ellison and, of course, surrealism. You can imagine how touched I was when he gave me and my partner, Trish, a proof copy of his memoir, Annandale Blues, complete with his manuscript amendments and a signed dedication to the two of us – see attached. We kept in touch over the years, not least when I let him know about references to Ellison in the British press, but unfortunately our plans to visit Guy & Ghislaine at Puy Notre-dame never came to fruition – the tectonic plates never quite aligning!
John Welson & I also devoted a whole Domain to Guy – The Domain of the Invisible Made Visible – at our Surrealist Murmuration exhibition in Aberystwyth, probably still the largest exhibition of contemporary surrealist work izn Wales, in 2017.
An impressive individual, he lived an exemplary life!
Témoignage d’Alex Januario (Brésil), 25 janvier 2025
Nous avions une bonne correspondance, il était toujours attentif à moi et intéressé par mes collages.Lorsqu’il est venu à São Paulo en 2013 pour un événement sur « Seminários Livro-Objeto e o Não-Livro » organisé par Sergio Lima, je lui ai fait visiter la ville, nous nous sommes amusés et avons bu de nombreuses bières. Ces journées étaient intenses, la poésie et le surréalisme ne manquaient pas !
Témoignage de Pierre Laurendeau, 25 janvier 2025
Notre rencontre – et la longue amitié qui a suivi – avec Guy et Rikki Ducornet date d’avril 1982. J’avais entendu parler, quelques années plus tôt, de ce couple franco-américain installé près de Saumur depuis peu, lui potier et elle peintre et illustratrice. Mais c’est grâce aux Little Dirties for Rikki, des petites vignettes érotiques de Jacques Abeille que j’avais publiées cette année-là à l’enseigne de Deleatur, que nous sommes entrés en contact. Jacques Abeille et Christian Laucou étaient du voyage quand nous nous rendîmes d’Angers, où nous habitions alors, au Puy-Notre-Dame, à la limite de l’Anjou et des Deux-Sèvres.
Avec Guy et Rikki, la complicité fut immédiate. Nous nous vîmes souvent, généralement au Puy, mais parfois chez nous à Angers – nous avons même organisé une exposition de céramiques et lithographies dans la maison que nous occupions alors, en 1985 ou 1986. Rikki venait de publier son premier roman en anglais, The Stain (inédit en français), que Guy avait entrepris de traduire. Puis il se prit au jeu et traduisit peu à peu tous les ouvrages de Rikki au fur et à mesure de leur parution dans les pays anglo-saxons. En 1992, je tentai d’alerter quelques éditeurs sur cette voix unique de la littérature anglo-saxonne, loin des univers convenus des auteurs favoris des médias français. Peine perdue. Je décidai alors de publier Les Feux de l’Orchidée chez Deleatur, qui fut donc son premier roman à paraître en français, en 1993. La traduction de Guy était exceptionnelle : il avait su restituer le style unique de l’auteure sans nuire à la fluidité du récit.
Parler de Guy, c’est aussi évoquer son atelier de poterie. Il nous fit découvrir à ma femme, Agnès, et à moi cet art plurimillénaire, qu’il pratiquait avec passion ! Et qui détermina en partie, je pense, l’envie d’Agnès de se lancer dans l’aventure au tournant du millénaire. Lors de l’anniversaire de ses 80 ans, au Puy, Agnès offrit à Guy un de ses bols en grès. Il le prit entre ses longs doigts, en appréciant le tournage et l’émail.
Guy avait une « famille » intellectuelle, le surréalisme. Là encore, il ne pouvait faire les choses à moitié et, lorsqu’il découvrit les ouvrages des critiques nord-américain(e)s assez caricaturaux sur le mouvement d’André Breton et de ses amis, il se livra à un exercice de contre-attaque, que je publiai en 1992 avec Actual sous le titre : Le Punching-Ball et la Vache à lait. Une quinzaine d’années plus tard, il récidiva pour recadrer les positions du surréalisme face aux religions dans un climat déjà inquiétant de montée des intégrismes, par un pamphlet net et caustique : Surréalisme et Athéisme, À la niche les glapisseurs de dieu ! Je m’en occupai pour le compte de Ginkgo, qui avait accepté l’ouvrage dans sa collection Essais.
Après la séparation de Guy et Rikki au milieu des années 90, nous poursuivîmes nos rendez-vous au Puy, où nous fîmes la connaissance de Ghislaine, sa nouvelle compagne.
Une anecdote, enfin : au milieu des années 90, Guy nous emmena à une vingtaine de kilomètres de chez lui, au château d’Oiron, une demeure Renaissance transformée en lieu d’art contemporain – où des « installations » sont présentées sous les merveilleux plafonds à caissons de l’édifice. Guy avait repéré, dans l’embrasure d’une fenêtre, une pompe émergeant d’un système de tuyauteries évoquant un tableau de Chirico. Pendant que nous faisions le guet, il colla un cartel « Hommage à Chirico. Signé : G. D. » Nous prîmes une photo authentifiant la création. Un ou deux ans plus tard, nous retournâmes au château avec des amis – mais sans Guy, cette fois-ci. Quelle ne fut pas notre stupeur de voir le cartel toujours en place, et même refixé et nettoyé avec soin !
Une page de notre vie s’est refermée, mais Guy est toujours présent – par ses livres et les tableaux que nous avions acquis au fil des années.