(15 août 1935, Montréal La Cluze – 27 août 2020, Bonneuil-sur-Marne)
Jean-Michel Goutier était d’une génération dont quelques-uns ont trouvé dans la guerre d’Algérie la source d’une révolte comparable à celle que la Première Guerre mondiale a provoquée chez les Dadas et futurs surréalistes : sa rencontre avec le groupe rassemblé autour d’André Breton était donc nécessaire.
Elle est actée par la réalisation, avec sa compagne Giovanna, le 13 novembre 1965, en prologue à l’exposition L’Écart absolu, de la performance La Carte absolue – qui sur le thème de l’androgynat, inscrit la passion entre les points cardinaux du « jeu de Marseille » (le Rêve, l’Amour, la Révolution et la Connaissance). Jean-Michel Goutier participe dès lors aux activités du groupe jusqu’en 1969, et notamment à sa dernière revue L’Archibras. Toutes ses activités ultérieures en portent l’empreinte, tandis qu’y resplendissent périodiquement les éclairs de lumière noire de la geste anarchiste qui le fascinait.
Collaborant avec François Di Dio l’éditeur du Soleil noir – auquel il rendra hommage en 1993 avec une exposition à Nîmes, Goutier était homme de fidélité –, il anime les « Cahiers noirs du soleil » et rassemble en particulier, pour L’Internationale Hallucinex, les textes de jeunes poètes auxquels il fait toute confiance pour s’affirmer comme « fauteurs de troubles ». En 1976, il cofonde le collectif « Le Récipiendaire », qui publie neuf titres toujours aux éditions du Soleil Noir puis qui fait paraître chez Plasma l’ouvrage collectif Discours qu’il a organisé. Pour les éditions Plasma, il préface Aloysius Bertrand, Maurice Blanchard et René Crevel ; il crée en 1983 la collection « En dehors », où paraissent des textes d’Alain Roussel, José Pierre (Surréalisme et anarchie) et Stanislas Rodanski – à la reconnaissance duquel, comme pour celle de Jean-Pierre Duprey, il participe activement. En 1982, il organise un autre livre collectif, consacré à Benjamin Péret (éd. Henri Veyrier) – c’est qu’il aime faire cohabiter des voix ou approches différentes, pourvu qu’elles aient un but commun.
D’où sa participation aux revues appartenant de préférence à la constellation surréaliste et à ses suites (Ellébore, Pleine Marge, La Tortue-Lièvre, les Cahiers Benjamin Péret ou… Infosurr). En complicité étroite avec Édouard Jaguer (à qui il donna une très belle préface aux poèmes rassemblés dans L’Envers de la panoplie dans la collection « Libre espace » aux éditions Syllepse, 2000), il fut un des premiers propulseurs de cette folle aventure que représente un bulletin régulier d’actualités du surréalisme, ne ménageant ni temps, ni critiques et conseils, son sens de l’amitié et de l’exactitude lui dictant de miser sur de tels paris plutôt que sur une carrière institutionnelle. Il a eu raison : Infosurr est encore là, même s’il en déplorait évidemment les retards de publication.
À ces revues, il donne poèmes, analyses et articles d’une impeccable précision, consacrés uniquement aux auteurs ou artistes qu’il apprécie : c’est la passion qui le guide. On fera le même constat en énumérant quelques-unes de ses préfaces pour des expositions : Anne Éthuin, le mouvement Phases, Kurt Seligmann, Aube Elléouët, Magritte, Arshile Gorky, Hans Arp et Sophie Taeuber, Yves Elléouët, Jacques Hérold, Agustin Cardenas, Oscar Dominguez, etc. – ou les thèmes des conférences données en France et à l’étranger : Maurice Blanchard, Jean-Pierre Duprey, Ivan Tovar (auquel il consacre une monographie en 2001), Hérold et le livre, « Le Surréalisme et les infortunes de la politique » (publié en préface à Mettre au ban les partis politiques, choix de textes de Breton édité à L’Herne en 2007 comme « piqure de rappel » en un temps de « misère électorale »), et André Breton, qui suscite trois développements sur sa relation avec le théâtre, sur ce qu’il était « à vingt ans », et sur sa « collection manifeste ».
Sa connaissance de l’histoire du surréalisme, et en particulier de la vie et des œuvres de Breton était exceptionnelle ; en témoignent aussi bien l’ouvrage qu’il consacre aux activités « plastiques » de ce dernier (André Breton – Je vois, j’imagine, Gallimard 1991), que sa collaboration au Cahier de l’Herne consacré à Breton (1998) ou ses éditions et commentaires des Lettres à Aube (2009) et des Lettres à Simone Kahn (2016). Elle fut reconnue même par les institutions : il est particulièrement actif et efficace au comité scientifique constitué (avec Marguerite Bonnet et José Pierre) pour l’exposition André Breton – La Beauté convulsive (Centre Pompidou, 1991) et collabore au catalogue de La Révolution surréaliste (exposition organisée par Werner Spies, Centre Pompidou, 2002). En 2003, il est un consultant très précieux pour la vente André Breton 42 rue Fontaine et deux ans plus tard, il fait partie du comité scientifique de l’exposition Paris y los Surrealistas (Barcelone et Bilbao). En 2014, il rédige (par chance !) quelques notices pour le Dictionnaire de l’objet surréaliste qui accompagne l’exposition hélas très discutée organisée par Didier Ottinger au Centre Pompidou.
Quant à sa poésie, Jean-Michel Goutier en a réservé la lecture à quelques « élus », privilégiant des tirages confidentiels pour Pacifique que ça ! (1995) ou Toute affaire cessante (1998) ; toutefois, certains de ses poèmes sont reparus dans Pleine Marge ou dans La Tortue Lièvre, et on en lira dans l’anthologie Il y aura une fois de Jacqueline Chénieux-Gandron (Gallimard, Folio, 2002). Lorsqu’on les rassemblera dans un volume (copieux), publications, articles, conférences montreront la cohérence d’une démarche vouée, non à la simple célébration du surréalisme, mais au rappel insistant de ses valeurs et au partage d’une connaissance approfondie de son histoire et de ses œuvres. Un tel recueil ne composera pourtant qu’une face d’un possible portrait de Jean-Michel Goutier. Pour qu’un tel portrait soit « complet » (?), il faudrait souligner, non seulement la chaleur de son amitié, mais aussi ses éclats de rire, sa disponibilité, son attention aux autres, la confiance accordée aux êtres capables de lui faire pressentir la possibilité d’une complicité durable. A ceux-ci, il leur suffisait alors de contresigner tacitement la fin de sa réponse à l’enquête Wozu ? (Soleil noir, 1978) :
« Dans la trajectoire du geste et du mot qui s’excède le poète doit être et rester, quels que soient les pouvoirs en place, un extrémiste ».
Gérard Durozoi & Richard Walter, 3 septembre 2020
Une réflexion sur « Jean-Michel Goutier (1935 – 2020) »
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