Merveilleuse Utopie

On nous communique :

Du 6 juillet au 7 septembre 2024 s’est tenue à Saint-Cirq-Lapopie dans les locaux des Maisons André Breton et Émile-Joseph Rignault, la XIXe Exposition internationale du Surréalisme, organisée par le Groupe surréaliste de Paris. Bien qu’entrant dans le cadre du centenaire de la parution du Manifeste du surréalisme, cette exposition, intitulée Merveilleuse utopie, ne se voulait en rien commémorative, mais était conçue pour marquer la persistance du surréalisme comme mouvement international, plus de cinquante ans après la mort de son fondateur en 1966.

À cette fin, les trois commissaires, Sylwia Chrostowska, Joël Gayraud et Guy Girard, avaient rassemblé une centaine d’œuvres provenant de nombreux pays d’Europe (France, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Suède, République tchèque, Slovaquie, Roumanie) et d’Amérique (Canada, États-Unis, Brésil, Argentine, Mexique). Peintures, dessins, collages, cadavres exquis, objets, boîtes et sculptures, la plus grande part des œuvres exposées représentaient dans sa foisonnante diversité la création surréaliste contemporaine. Mais pour marquer la continuité du mouvement figuraient aussi quelques œuvres plus anciennes, comme un grand tableau de Clovis Trouille datant de 1930 exposé pour la première fois, une peinture de Jean Benoît, une boîte de Mimi Parent, un dessin d’Unica Zürn, un autre de Hans Bellmer. Une place avait été faite également à certaines œuvres d’art brut ou singulier que leur puissance imaginative permet d’inclure dans les marges du surréalisme.

L’île étant traditionnellement le lieu privilégié de l’utopie, l’exposition a été conçue comme un parcours initiatique et poétique à travers cinq îles – Île des Songes, Île de la Révolte, Île des Métamorphoses, Île d’Amour, Île d’Abondance – illustrant les questions fondamentales posées par le surréalisme, sa quête de merveilleux ainsi que sa visée révolutionnaire énoncée dans la formule d’André Breton « Transformer le monde, changer la vie, refaire de toutes pièces l’entendement humain »[1]. L’accent a été mis sur le rêve nocturne et la rêverie diurne, double source de la pensée mythique et de l’imaginaire utopique, sur la valeur subversive de l’amour et du désir, sur les métamorphoses de la matière et de l’esprit, sur l’abondance naturelle qu’il s’agit de protéger contre le gaspillage mercantile ainsi que sur la place centrale que le surréalisme accorde aux pouvoirs émancipateurs de l’imagination. Il était dès lors entendu que le surréalisme ne saurait être réduit à une esthétique ou à un simple mouvement artistique. Tout ceci était suffisamment expliqué, sans prolixité excessive, sur les panneaux de salle rédigés en français et en anglais à l’entrée de chaque « île ».

Comme les autres expositions internationales du surréalisme, celle-ci ne se limitait pas à un simple accrochage. Une scénographie visant à provoquer un sentiment d’inquiétante familiarité scandait les principales étapes de l’exposition : dans la Maison Rignaut, entre l’Île des Songes et l’Île de la Révolte, était installé dans une petite salle tendue de noir le Miroir liquide d’Olivier Vallet où le visiteur pouvait contempler son reflet sur un film d’eau s’écoulant verticalement devant lui ; dans l’Île des Métamorphoses les plantes magiques d’Antoine Terrieux dansaient au rythme d’une sourde musique lancinante ; dans l’escalier de la tour de la Maison André Breton résonnaient les improvisations bruitistes du surréaliste canadien William Davison ; sous la longue table de la salle à manger d’André Breton dormait nue une géante baudelairienne enveloppée dans des draps de lin blanc, dont n’apparaissaient que les bras, la tête et les jambes en celluloïd ; enfin, à la sortie de l’exposition, Sylwia Chrostowska avait disposé un ancien baril de pétrole portant l’inscription Ville engloutie / Sunken city et qui contenait, immergées sous quelques dizaines de litres d’eau recouverts d’une fine pellicule d’essence, les principales prothèses de l’homo oeconomicus moderne et contemporain : téléphone portable, poste à transistor, console de jeu, tablette d’ordinateur etc.

Au cours de l’été ont eu lieu plusieurs animations, comme le Petit Théâtre des pendus de Tristan Félix, la projection du film de Michel Zimbacca, L’invention du monde, et celle du film de Valerie Minetto et Cécile Vargaftig, L’échappée, en hommage à Annie Le Brun, récemment disparue. Comme il se doit, Merveilleuse utopie a été ignorée par la presse nationale et n’a fait l’objet d’un article que dans La Dépêche du Midi. Elle n’en a pas moins été vue par plus de 6000 visiteurs.

Un catalogue bilingue en français et en anglais de 168 pages a été publié à cette occasion. Outre la reproduction de toutes les œuvres exposées, on y trouve des textes de Sylwia Chrostowska, Joël Gayraud, et Guy Girard, ainsi que de nos camarades espagnols José Manuel Rojo et Jesus Garcia Rodriguez. Il est dédié à la mémoire de notre ami Eugenio Castro, fondateur du groupe de Madrid, décédé prématurément en mars 2024. Précisons enfin que l’association La rose impossible, chargée de la gestion de la Maison André Breton, avait donné carte blanche au Groupe surréaliste pour la conception et la réalisation de cette exposition dont il a été, par les soins des trois commissaires, l’organisateur bénévole en toute indépendance.

Joël Gayraud

Liste des exposants : Juan Andralis, Pedro Azevedo, Jean-Marc Baholet, Hans Bellmer, Jean Benoît, Anny Bonnin, Massimo Borghese, Jean Branciard, Jorge Camacho, Eugenio Castro, Victor Chab, Sylwia Chrostowska, Darnish, William A. Davison, Adrien Dax, Gabriel Derkevorkian, Mr. Djub, Aube Elléouët-Breton, Tristan Félix, Kathleen Fox, Sarah Froidurot, Eugène Gabritschevsky, Antonella Gandini, Roberto García York, Joël Gayraud, Régis Gayraud, Yoan Armand Gil, Jan Giliam, Guy Girard, Alan Glass, Michel Gouéry, Janice Hathaway, Sherri Lynn Higgins, Valentine Hugo, Richard Humphry, Ameli Jannarelli, Alex Januario, Bronisław Kurdziel, Jacques Le Maréchal, Sergio Lima, Rik Lina, Gina Litherland, Michael Löwy, Mirka Lugosi, Albert Marenčin, Přemysl Martinec, Didier Mazuru, Desmond Morris, David Nadeau, Niklas Nenzen, Georges Papazoff, Jean-Pierre Paraggio, Mimi Parent, Kateřina Piňosová, Pierre Rojansky, Penelope Rosemont, Ron Sakolsky, Mitzura Salgian, Bernard Sanschagrin, Jean-Claude Silberman, Dan Stanciu, Wedgwood Steventon, Jan Švankmajer, Ludovic Tac, Virginia Tentindo, Jean Terrossian, Clovis Trouille, Emiel Verlinde, Sasha Vlad, Susana Wald, John Welson, Frank Wright, Stefan Zechowski, Gabriela Ziakova, Michel Zimbacca, Unica Zürn.

[1] « Hommage à Antonin Artaud » (1946), in André Breton, Œuvres complètes, T. III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 737.